Saviez-vous que 98% de l’or qui provient des mines de l’Est du Congo est exporté illégalement?
Saviez-vous que plus de la moitié des mines artisanales de cette région est aux mains de groupes armés?
Saviez-vous que le secteur de l’exploitation minière artisanale concerne 40 millions de personnes de par le monde ?
Nous sommes toujours plus « on line », toujours plus « connectés », et malheureusement toujours plus dépendants de minerais qui, en Europe, nous permettent de nous véhiculer de façon « plus propre », tandis que dans d’autres parties du monde, ces mêmes minerais sont sources de corruption et de violences …
L’Union européenne s’est enfin penchée sur la problématique des minerais provenant des zones de conflit en dotant l’espace européen d’une réglementation spécifique. Or, même si elle peut apparaitre ambitieuse, elle est encore largement insatisfaisante.
En effet, dans le courant du mois de mars 2017, le Parlement européen a voté en faveur d’une loi dont le but est de stopper le financement des groupes armés au travers du commerce illégal des minerais.
Grâce à ce règlement, les sociétés européennes se voient obligées de respecter une nouvelle réglementation à partir du 1er janvier 2021.
L’objectif ici est de réglementer en particulier le commerce de 4 minerais: l’or, l’étain, le tantale et le tungstène, en veillant notamment à ce que leurs importateurs respectent les normes internationales en matière d’approvisionnement responsable élaborées par l’OCDE. Le but est de rompre le lien entre les conflits et l’exploitation illégale des minerais !
Dès lors, dès le 1er janvier 2021, les entreprises européennes sont donc obligées de veiller à que leurs importations de minerais et de métaux proviennent exclusivement de sources responsables et ne soient pas issues de zones de conflit.
Quels minerais sont concernés ?
Si le règlement européen ne se concentre que sur l’étain, le tantale, le tungstène et l’or, il s’explique toutefois en précisant qu’il s’agit des quatre minerais le plus souvent liés aux conflits armés, à la corruption et aux violations des droits humains. Il s’agit en effet de minerais présents dans la plupart de nos appareils électroniques tels que nos smartphones, ordinateurs portables, ainsi que dans les véhicules électriques.
Que signifient « les minerais provenant de zones de conflit » ?
Dans certaines régions du monde telles que la République démocratique du Congo, le commerce de minerais appuie le financement de groupes armés, et favorise le travail forcé ou le travail des enfants, ainsi que d’autres violations des droits humains.
Ces minerais que l’on nomme les « minerais du conflit », sont notamment l’étain, le tungstène, le tantale et l’or, et peuvent être utilisés dans des produits de consommation courante, tels que les téléphones mobiles et les voitures, ou encore les bijoux.
Le règlement européen tente de définir les régions considérées comme zones de conflit (ou comme étant à haut risque) de la manière suivante : il s’agit des ressources naturelles qui constituent des minerais qui font l’objet d’une forte demande, que ce soit au niveau local, régional ou mondial, et ces minerais se situent dans des régions se trouvant en situation de conflit (de guerre civile), ou qui sortent d’un conflit qui les a fragilisées ou qui sont caractérisées par une gouvernance faible ou inexistante et par des violations systématiques du droit international, y compris des violations des droits humains.
Quelle application en 2021 ?
La réglementation européenne s’applique de manière directe aux entreprises qui importent de l’étain, du tantale, du tungstène et de l’or dans l’Union européenne, peu importe l’origine de ces minerais.
Un groupe d’experts externes a été chargé de dresser une liste des zones de conflit et à haut risque. Cette liste ne donnera qu’une indication des régions touchées par un conflit ou d’autres activités illégales et ne sera pas exhaustive, avec ceci pour conséquence que les entreprises importatrices au sein de l’Union européenne seront obligées de se conformer même pour des activités menées dans des zones de conflit qui ne figurent pas dans cette liste.
Concrètement, quelles sont les obligations prévues ?
Il s’agit ici d’un devoir de diligence. Concrètement, toute entreprise qui importe en Europe doit faire preuve d’une vigilance raisonnable concernant son approvisionnement en minerais. Autrement dit, il est attendu des entreprises qu’elles vérifient que leurs achats proviennent de sources responsables et ne contribuent pas à un conflit ou à des activités illégales.
Ce faisant, il est attendu de ces entreprises qu’elles commencent par évaluer le degré de risque relatif à leur approvisionnement, c’est-à-dire qu’elles doivent évaluer la probabilité que les matières premières qu’elles possèdent puissent financer un conflit, du travail forcé ou d’autres violations des droits humains.
Oui mais, comment faire ?
Les importateurs doivent adhérer à une procédure en 5 étapes établies par l’OCDE1 qui sont :
- établir des systèmes solides de gestion de l’entreprise qui veilleront à recenser le type de minerais et les quantités importées, préciser leur pays d’origine, le nom des fournisseurs, etc.;
- recenser et évaluer les risques associés à la chaîne d’approvisionnement en analysant la probabilité que ces matières premières financent un conflit, soient le fruit de travail forcé ou proviennent du travail d’enfants;
- concevoir et mettre en œuvre une stratégie pour réagir aux risques recensés;
- effectuer un audit indépendant mené par des tiers sur le devoir de diligence de la chaîne d’approvisionnement;
- publier chaque année un rapport sur l’exercice du devoir de diligence concernant la chaîne d’approvisionnement.
Plus concrètement, les importateurs de l’Union européenne doivent mettre en place un système qui permet de renseigner les informations suivantes :
- préciser le pays d’origine des minerais ;
- indiquer les quantités importées et la date de leur extraction ;
- recenser les minerais qu’ils importent par appellation commerciale et par type ;
- indiquer le nom et l’adresse de leurs fournisseurs .
Si les minerais proviennent de zones de conflit, les importateurs doivent fournir des renseignements supplémentaires comme la mine d’origine de ces minerais, les lieux de regroupement, de négociation et de transformation des minerais, ainsi que les taxes, droits et redevances payés.
Quelles sanctions seront-elles imposées ?
Les États membres de l’UE sont responsables de l’application effective du règlement. Ils doivent ainsi nommer une autorité compétente pour l’application des règles (en Belgique il s’agit du SPF Économie), établir et rendre publique la liste des entreprises nationales importatrices, et effectuer des contrôles pour s’assurer que les importateurs respectent leurs obligations.
Les entreprises qui sont concernées par le Règlement européen pourront donc faire l’objet de contrôles a posteriori organisés par les autorités étatiques. Toutefois, il y a lieu de préciser qu’aucune sanction pour non-conformité n’est prévue. Selon le règlement, c’est aux États membres de fixer les règles applicables aux violations.
En conclusion, par le biais de cette règlementation, l’Union européenne s’est permise de faire un véritable pas en avant dans le sens d’une plus grande traçabilité des minerais en imposant aux entreprises importatrices un devoir de transparence. Ce devoir de transparence prend la forme de la nouvelle obligation de renseigner le pays d’origine des minerais, les quantités importées ainsi que le nom du fournisseur.
Toutefois, nous déplorons que l’Union européenne n’ait pas eu l’ambition d’aller plus loin dans son effort, par exemple en interdisant toute importation de minerais provenant de zones de conflit.
En effet, le texte final ne correspond pas tout à fait au texte qui avait été initialement proposé par le Parlement européen. Celui-ci s’est vu faire des concessions aux entreprises durant la procédure de négociation, ne pouvant se départir de la dépendance totale de l’Union européenne vis-à-vis du tantale par exemple.
Par ailleurs, les entreprises qui sont désignées comme en étant « en aval » des chaines d’approvisionnement, c’est-à-dire celles qui transforment les métaux en produits finis et les vendent aux consommateurs finaux, ne sont obligées par le règlement que si elles importent des produits au stade de métaux. Par conséquent, les entreprises qui se situent en fin de chaîne et qui importent donc des produits finis, des smartphones par exemple, ne se voient soumises à aucune obligation en vertu du règlement.
Dès lors, étant donné que la plupart des importations au sein de l’Union européenne ne concerne que des minerais qui ont déjà été transformés et assemblés en Asie, peu d’entreprises européennes se verront contraintes par la nouvelle réglementation (le règlement les a estimées à 450 pour toute l’Union européenne!).
En outre, un seuil d’importation a été fixé en dessous duquel aucune obligation n’est prévue.
Pour finir, des minerais problématiques, tels que le diamant, le cuivre ou le cobalt, ne sont nullement prévus par la réglementation, alors qu’ils disposent également d’une importante utilisation dans notre vie quotidienne et dont il est connu qu’ils ont également un lien avec les conflits armés …
Et vous, quelle manière d’agir choisirez-vous pour avoir un impact positif à votre échelle?
1Guide de l’OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque,
Lydie Goubet
Sources:
- Règlement (UE) 2017/821 du Parlement européen et du Conseil, du 17 mai 2017 fixant des obligations liées au devoir de diligence à l’égard de la chaîne d’approvisionnement pour les importateurs de l’Union qui importent de l’étain, du tantale et du tungstène, leurs minerais et de l’or provenant de zones de conflit ou à haut risque;
- Union européenne et minerais des conflits: échéance 2021, Commission Justice et Paix, mai 2017
- Intergovernmental Forum on Mining, Minerals, Metals and Sustainable Development (IGF), 2017.
Crédit photo de couverture: Paulette à bicyclette, joaillerie éthique, Paris.
Photos dans texte: Lydie Goubet